The Ingredient

Le Cerdo Ibérico de Bellota est un cochon qui passe sa vie à gambader dans des forêts de chênes, où il se nourrit d'herbes aromatiques et de glands. Sa viande n'est pas simplement délicieuse, elle est aussi riche en graisses insaturées.

Nous voici un matin froid et humide de décembre dans la communauté espagnole de l'Estrémadure, non loin de la bourgade médiévale de Badajoz. Alors que le voile de l'obscurité se lève, une forêt vallonnée de vieux chênes verts et chênes-lièges se dessine à l'horizon. Un faible grognement se fait entendre, interrompu seulement par des mâchements et des craquements. Un petit groupe de Cerdos Ibéricos de Bellota ne fait qu'une bouchée des glands éparpillés au sol. Leur Montanera, comme on appelle leur périple à travers les chênaies de la dehesa, vient juste de commencer. La majorité des glands pendent toujours aux arbres.

Les Bellotas font la différence

Les Bellotas font la différence

Carlos Tristancho frappe les branches avec sa canne et fait pleuvoir des glands marron foncé. Les cochons, qui grognent et couinent, les dévorent immédiatement. L'éleveur de 65 ans vit dans la Finca Cantillana, qui appartient à un domaine de 500 hectares appelé Pais de Quercus. Il est une figure de proue du programme d'agriculture biodynamique que les éleveurs de la Dehesa ont lancé. Ces derniers militent pour le mouvement slow food et pour des conditions d'élevage naturelles. À travers leurs Cerdos Ibéricos de Bellota et le jambon séché à l'air qui en résulte, également connu sous le nom de jambon Pata Negra, ils ont acquis une réputation qui dépasse largement les frontières de l'Espagne.

Le secret ? Une bonne nutrition et de l'exercice

Le secret ? Une bonne nutrition et de l'exercice

« La saveur subtile de noisette délicate de ce jambon est le fruit d'une combinaison saine de nutrition et d'exercice » explique Carlos Tristancho. Les Cerdos Ibéricos évoluent dans un environnement naturel presque toute l'année et se nourrissent d'herbes aromatiques et de glands. Durant les mois d'hiver, ils consomment une quantité phénoménale de ces derniers, environ sept kilogrammes par jour. Comme ils vivent sur une très vaste surface et que les arbres sont très espacés les uns des autres, ils sont obligés de trotter pendant des kilomètres pour trouver leur nourriture. « Cela permet à l'huile des glands de se frayer un chemin jusque dans les fins vaisseaux de leurs muscles, ce qui modifie le profil des acides gras » précise Carlos. Lorsqu'ils arrivent à la Montanera au début du mois de février, ils ont pris 70 kilos, « mais leurs graisses insaturées sont d'excellente qualité, ce sont pour ainsi dire des oliviers ambulants » poursuit-il.

Climat, technologie et expérience

Cette nutrition, basée sur les meilleurs ingrédients naturels qui soient, est en grande partie responsable des fines saveurs qui imprègnent le jambon. Mais ce n'est pas la seule raison : le jambon est salé suivant un procédé très élaboré basé sur des conditions climatiques parfaites, une technologie moderne et un savoir-faire issu d'une longue expérience, le tout dans le respect des normes de qualité les plus élevées. Après abattage, la viande est réfrigérée à 0 °C, classée puis enveloppée dans une croûte de sel. C'est le début de la salaison, qui se déroule dans des conditions de température comprises entre 0 et 5 °C et à une humidité relative de 70 à 90 %. Pendant la phase de maturation, le jambon commence à développer son goût et sa couleur caractéristique. Un frottement supplémentaire assure une bonne répartition du sel et sa pénétration dans les pores du tissu.

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Maturation sans choc thermique

Après avoir été brossé et lavé, le jambon est mis au repos pendant 60 jours, à une température oscillant entre 0 et 6 °C avec un taux d'humidité de 70 à 90 %. Il est ensuite placé dans une pièce appelée séchoir, entre 6 et 16 °C, où il reste pendant 90 jours et perd entre 60 et 80 % de son poids. Cette pièce servant au séchage naturel de la viande a des fenêtres qui laissent entrer les rayons de lumière, des stores réglables et un flux d'air surveillé en continu pour garantir une ventilation optimale. Lors de ce qu'on appelle la sudation, la température du jambon doit pouvoir augmenter lentement, de manière contrôlée, afin d'éviter un choc thermique. Cela permet à la graisse parfumée de fondre dans le tissu musculaire.

Un kilo vous en coûtera plusieurs dizaines d'euros

À l'étape d'après, la température monte encore d'un cran, jusqu'à 26 °C, pour permettre aux saveurs de se développer. Cette étape dure également 90 jours. Les dernières retouches microbiologiques sont apportées lors de la phase finale, qui peut durer jusqu'à 365 jours. Les températures chaudes de la journée et les nuits fraîches complètent le goût du jambon. Lorsqu'il est fin prêt, le jambon a jusqu'à quatre ans d'affinage derrière lui, sans compter les 20 mois de vie du cochon. Dès lors, personne ne s'étonnera que ce savoir-faire de haut niveau ait un prix : comptez 450 € pour un morceau de 8,5 kg de Cerdo de Ibérico de Bellota.

Un contrôle qualité avec tous les sens.

Un contrôle qualité avec tous les sens

Carlos Tristancho place une longue vis aiguisée sur le jambon et la tourne pour en extraire un minuscule morceau tout en appuyant et en massant la viande avec le pouce. Un geste qui sollicite tous ses organes sensoriels : « Pendant la maturation, on contrôle la qualité presque tous les jours » affirme-t-il. Le grand moment est enfin arrivé : Carlos découpe un jambon ibérique royal, produit avec des porcs nourris aux glands, et dépose sur une feuille de film des tranches de viande aussi fines que l'air. Une saveur incroyablement douce, finement relevée, aux arômes délicats de noisette s'empare de notre palais. Tout simplement divin.

La plus belle contrée du monde

La plus belle contrée du monde

Et tout cela grâce à une réserve naturelle protégée, ou dehesa, un paradis qui sert d'habitat à des millions d'oiseaux, dont beaucoup viennent passer l'hiver, et à des animaux d'élevage. « La dehesa est l'un des derniers garde-manger naturels du monde où trouver de la nourriture saine » dit Carlos Tristancho, qui sait de quoi il parle puisqu'il a grandi ici. En partageant un verre de vin avec lui, nous apprenons qu'il a été acteur dans une vie précédente, et pas le moindre puisqu'il a joué avec Pedro Almodóvar, le célèbre réalisateur, ou encore Carmen Maura, Klaus Kinski et Harvey Keitel. Des vedettes comme Madonna étaient régulièrement invitées et, pendant quelques temps, il a aussi été directeur artistique d'un grand festival de théâtre à Mérida. Mais il vint un moment où, après avoir tutoyé les sommets, il avait envie d'autre chose. Il souhaitait rentrer chez lui, où il acheta un vieux couvent dans la dehesa. Il le transforma en hôtel-restaurant, qui sert maintenant de lieu de rencontre pour tous ceux qui partagent sa passion de la nature et de la gastronomie. C'est là qu'il rencontra José Maria Monteagudo, le fondateur du Pais de Quercus. Ils devinrent amis et associés. « La dehesa, » dit Carlos, « est un écosystème unique que je ressens par tous les pores de mon corps, dont je connais chaque odeur, goût et son. Pour moi, c'est le plus bel endroit de la planète ».

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